Russafrique: L’Africa Corps, nouveau bras armé du Kremlin en Afrique

Le ministère de la Défense russe a officiellement repris les activités militaires du groupe Wagner en Afrique, en créant “African Corps” (Afrikanskiy Korpus en russe), une unité commandée par Yunus-Bek Yevkurov, vice-ministre de la Défense russe. Sous ce nom évoquant directement l’armée d’Afrique de l’Allemagne nazie du Feldmarschall Rommel, la Russie prétend continuer d’aider des Etats africains face à la menace terroriste. En prenant la main sur les activités d’Evgueni Prigojine après sa mutinerie en juin 2023, Moscou assume désormais ses ingérences en Afrique, après les avoir longtemps niées alors que Wagner servait à cacher ses agissements. Les ambitions personnelles du chef de guerre milliardaire, stoppées par sa mort brutale, auraient donc forcé la main de Vladimir Poutine.

Campagne de recrutement publié sur les réseaux sociaux de l’Africa Corps

Les enjeux de la nouvelle politique africaine de la Russie

Cette sortie au grand jour implique deux choses. Tout d’abord, la Russie officialise sa présence militaire sur le continent. Une “nationalisation” de l’ancien groupe de mercenaires russe pourrait avoir des conséquences directes sur la stabilité des pays africains déjà fragilisée par des conflits systémiques dans le golfe de Guinée, en Afrique centrale, au Sahel ou encore en Libye et au Soudan. Si cette reprise en main des activités de Wagner est volontairement affichée par Moscou, elle semble prendre un certain temps. Au Mali et en RCA, par exemple, Wagner continue de jouer un rôle prépondérant en menant des opérations militaires aux côtés des forces armées locales. La dépendance de ces juntes aux services de Wagner risque de rendre les négociations difficiles. Il y a quelques mois, le président centrafricain Touadéra s’était d’ailleurs opposé à un remplacement des cadres de Wagner par des individus plus proches du pouvoir central russe. Ensuite, quels intérêts va vraiment servir cette nouvelle unité, ceux du régime russe ou ceux des peuples d’Afrique ? Cette présence est facturée directement aux Etats qui y ont recours. En d’autres terme, la Russie vend ses services, mais à quel prix ?

Artem Kureyev, rédacteur-en-chef du média pro-russe Afrinz.ru

Coopération économique ou escroquerie à grande échelle ?

Artem Kureyev, un agent d’influence de Moscou à la tête du média “Afrinz” et membre du “club Valdaï”, reprend les éléments de communication du ministère des Affaires étrangères russe : il parle d’une collaboration équitable, qui bénéficiera autant à la Russie qu’à ses clients. Selon lui, ce système ne sera efficace que si la Russie développe sa présence dans les Etats africains se payant les services de son armée privée. Comment ? En participant aux “réformes”, en implantant ses entreprises stratégiques et de grande distribution, ou encore en formant un grand nombre d’étudiants. En d’autres termes, ces axes de “collaboration” sont surtout profitables au “grand frère” Russe, qui cherche à contrôler les marchés, s’accaparer les ressources et à renforcer son emprise politico-économique sur le continent. Cette manœuvre se fait au détriment des contribuables africains, à qui la Russie facture ces services, en s’appuyant sur les faiblesses économiques et la dépendance croissante en matière de sécurité de certaines régions d’Afrique.

Une carte publiée sur le canal pro-russe d’Afrinz.ru montrant les intérêts économiques russes en Afrique

Un soft power menaçant

Concernant les enjeux sécuritaires, sous-traiter les actions antiterroristes a d’abord pu sembler être une bonne option. Mais, le groupe Wagner a obtenu très peu de résultats face aux groupes terroristes en Afrique de l’Ouest. Sur sa chaîne Telegram, le groupe “African Corps” indique recruter des profils de vétérans expérimentés. Cela concerne des anciens de Wagner, qui s’est rendu coupable et complice d’exactions sur des populations civiles à plusieurs reprises; et de l’armée russe, connue pour ses exactions lors de combats violents en Ukraine. Les critères de recrutement annoncés par l’unité sont donc peu rassurants et ne correspondraient pas à des missions de pacification. La reprise officielle du mercenariat russe par le ministère de la Défense implique aussi l’allocation de budget élevés, et une accélération de ce processus proche de l’asservissement.

Graphique recensant les événements violents dans lesquels Wagner est impliqué Source : ACLED

La Russie s’impose face à la Chine ?

La Chine et la Russie développent activement leur présence sur le continent Africain depuis le début des années 2000. Le phénomène s’est accéléré avec les coups d’Etats au Mali, au Burkina-Faso et au Niger. La Chine a développé son influence économique et ses échanges commerciaux en Afrique, dans le prolongement de son projet des « routes de la soie ». Si elle est le premier partenaire commercial de beaucoup de pays subsahariens, elle cherche à augmenter sa présence militaire, mais ne possède qu’une seule base à Djibouti, ouverte en 2017. La Russie, elle, parie visiblement sur l’accroissement de sa présence militaire, ne parvenant pas à rivaliser directement avec les investissements économiques chinois en Afrique. Ces intérêts divergents ne sont pas source de rivalité selon la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matviyenko. Dans les faits, au cours des prochaines années, cette rivalité risque de grandir et poser de sérieux problèmes pour la sécurité de la région subsaharienne.

Graphique critiquant le rôle de la Chine en Afrique publié dans un canal Telegram proche de Wagner

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